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De l'importance de se parler.

Genre, juste, tu vois, comme même, et j'en passe. Qui n'a pas remarqué ce que j'appelle des "tics de langage" chez ses enfants ou dans son entourage ?

Il suffit de s'attarder cinq minutes sur les influenceurs et influenceuses d'Instagram, abrutisseurs de nos enfants, pour se rendre compte que le langage est pauvre et que quand ils se transforment en têtes de gondole pour nous vendre leurs partenariats, ils manquent cruellement de qualificatifs n'utilisant que le mot très privilégié et dénué de sens "juste". C'est juste magnifique, juste incroyable, juste parfait. Pourtant c'est juste insuffisant et complètement incorrect.


C'est de cela dont j'ai envie de parler aujourd'hui. L'oralité. Le langage parlé. La parole vivante. Celle qui, ce n'est plus à démontrer, structure la lecture et l'écriture.

Tous les jours, dans ma pratique, je vois des élèves en difficultés à l'écrit ou en lecture car il ne dispose tout simplement pas d'un langage oral suffisant, d'un vocabulaire riche, de structures grammaticales et syntaxiques correctes.

Pourtant, la transmission orale, encore plus en Afrique où des cultures entières perdurent uniquement grâce à elles, est le socle de toute forme d'apprentissage. Mais quelle est réellement sa place à l'école ?


Résumé de son histoire.


L'oral est apparu dans les programmes scolaires français en 1972. Si l’oral représentait une des modalités d’évaluation des connaissances, il n’était nullement envisagé comme objet lui-même d’enseignement.

"En 1989, dans l’article premier de la loi d’orientation, il est indiqué que « l’école élémentaire apporte à l’élève les éléments et les instruments fondamentaux du savoir : expression orale et écrite […] », c’est surtout dans la décennie 1990 que l’oral prend une dimension nouvelle. En effet, les programmes de 1995 marquent une étape importante en distinguant nettement la communication (« l’oral pour apprendre ») de l’acquisition du langage (« l’oral à apprendre »), et en introduisant l’opposition entre langue et langage. Ainsi la langue comme système porteur d’une norme est objet d’enseignement à l’école élémentaire tandis que le langage, comme représentant des usages de la langue, est celui de l’école maternelle (prise en compte des pratiques langagières effectives des élèves)

La seconde approche de « l’oral pour apprendre » prend en compte sa dimension communicationnelle. Ainsi, J.-F. Halté rappelle aussi que ce véhicule des apprentissages est présent dans toutes les disciplines, y compris le français (transversalité de la langue) et que sa maitrise est d’autant plus déterminante pour toute réussite scolaire. Cette maitrise s’intéresse à « l’oral de travail », où «il est l’opérateur de l’appropriation des savoirs, en se plaçant autant sur le versant langagier que sur celui du cognitif dans le travail de négociation et de construction du sens » (2005 : 17)." (extraits Prendre/apprendre la parole : l’oral à l’école primaire dans les textes officiels).


En 1995 toujours, pour la première fois, des programmes officiels sont élaborés pour la maternelle qui n'avait jusqu'ici pour mission que la sociabilisation des enfants. C’est à ce niveau que le langage oral se renforce dans l’école française. La maîtrise de la langue devenant au cycle 1 une prescription officielle. Il est cependant étonnant de constater que ce discours sur l’oral est le même que celui de l’arrêté de 1964. En effet, ce qui était auparavant destiné aux enfants fragiles, est désormais destiné aux niveaux préscolaires (cycle 1). Pour les cycles 2 et 3, c’est par contre toujours le « mieux lire et mieux écrire » qui domine les programmes.


A cette époque, dans les textes officiels, l'oral trouvait sa place. Mais des études ont montré qu'en classe, sa mise en application n'était pas effective.

En effet, nous l'avons vu dans un précédent article, l'école républicaine française est fondée sur l'habitude et ses fondements reposent sur la culture écrite faisant d'elle un objectif central de l'éducation. Les enseignants ne sont pas formés pour l'oralité. Pire, la résistance venant des professeurs qui se justifient par le nombre trop important d’élèves par classe rendant impossible une interrogation orale ne permet pas la mise en place de l'oralité. C’est pourquoi, au collège et au lycée l’enseignement se fait principalement à travers des résumés et des textes (Waquet, 2003, p. 277). Les nouvelles technologies n’ont rien changé à cela. Bien souvent à la suite d’une projection, le professeur pose des questions par écrit ou encore demande un résumé écrit sur ce qui a été visionné. Par ailleurs, l’utilisation de l’informatique, profite à l’écriture et non à l’oralité, même si celle-ci est moins académique et « s’oralise » dans le cadre des forums. Cette écriture numérique connaît un usage scolaire calqué sur le texte littéraire et l’imprimé.

Enfin, dans la circulaire de rentrée de 2010, si la transversalité de la langue est réaffirmée, l’oral est placé en dernière position, rappelant de la sorte que le rôle de l’école est d’apprendre à lire et écrire avant tout. Nous en sommes encore là aujourd'hui, dans le fond et dans la forme.

Nos enfants n'ont pas accès à l'oral, à la parole vivante et nous voudrions qu'ils maitrisent lecture et écriture ? Vous trouvez cela logique ? Comment accéder au sens si nous n'en avons pas les outils ?

Et que dire de l'explosion des consultations orthophoniques pour des enfants de 3 à 6 ans demandées par les écoles ? Cela prouve que nous n'acceptons même plus le temps que prend la structuration du langage qui se construit bien plus dans l'interaction orale qu'avec des séances orthophoniques. Mais nous sommes une fois de plus dans la performance à l'exécution d'une tâche.

Il n'y a jamais eu d'oral à l'école pour ce qu'il est ou devrait être. L'école est même incapable de considérer qu’il existe un continuum oral-écrit dans lequel il est difficile de séparer, pour un individu, la part due à l’oral et celle due à l’écrit.

Peut-être est-ce plus surprenant, les séquences où l’on travaille l’oral pour lui-même, les séquences « d’oral à apprendre » se fondent également très largement sur l’écrit dont ils prolongent ou contrôlent l’apprentissage. Rares sont les situations où l’oral fait réellement l’objet d’un apprentissage spécifique : les productions relèvent alors de tel ou tel genre qui impose des contraintes linguistiques déterminées. (Rapport Boissinot, 1999 : 33).


Ce bref historique de l'oralité dans l'école française prouve qu'elle n'a pas sa place dans les apprentissages et qu'il est facile d'imaginer que son absence entraine un langage oral défaillant et généralisé aujourd'hui. Mais sans ce langage oral, sans cette parole vivante, pouvons-nous vraiment nous approprier la lettre de l'écriture et de la lecture ? Non. C'est impossible.

Pourtant, dans les pays d'Europe du Nord, pays où le système éducatif est reconnu pour ses réussites et pourtant de forte tradition écrite, l'oralité conserve une place importante dans la pédagogie. Ceci explique peut-être cela.

Pourquoi se refuser et surtout refuser à nos enfants de maitriser la langue de leurs apprentissages en ne la pratiquant que très peu à l'école ?

L'expression orale est un art. Elle s'apprend. Elle ouvre les portes de l'imagination, de la création et des envies de lire. Aucune personne ne maitrisant l'oral n'est capable d'être un lecteur épanoui. Il est impossible de dissocier la parole vivante de la parole écrite.


Depuis quelques temps j'ai très envie de créer des groupes de paroles de différents niveaux, de la maternelle à la terminale, pour permettre à nos enfants une expression que l'école ne leur permet pas et qui leur est pourtant nécessaire pour réussir leur parcours scolaire mais aussi pour se construire en tant qu'individu. J'ai même d'ailleurs commencé à chercher un professeur de théâtre pour m'aider dans mon projet, recherche jusqu'ici infructueuse, je profite donc de cet article pour vous passer le mot.

Je pense qu'il est nécessaire, encore plus aujourd'hui où les nouvelles technologies mettent à mal les différentes composantes du langage, de revenir à une oralité essentielle pour la transmission de notre humanité.


Pour finir je vous conseille un livre d'une importance capitale, "éducation et civilisations" tomes 1 et 2 de Monsieur Lê Thành Khôi, figure importante de l'éducation comparée. Dans cet ouvrage il retrace, des sociétés d'hier à nos modèles d'aujourd'hui, de nos origines à maintenant, le rôle de l'éducation, formelle et informelle, dans la production et reproduction des sociétés. On y apprend clairement l'importance capitale de l'oralité qui est seule capable de nous "humaniser", de nous construire dans nos cultures, nos références, de nous amener à l'amour de la langue et donc à sa maitrise.

Nos enfants et même beaucoup d'entre nous ne savent plus parler, exprimer, identifier ce que nous avons de commun, la parole. Elle est tronquée, falsifiée au profit d'une image qui n'a pas de sens si elle reste muette ou limitée à des "tics de langage" comme il en existe tant aujourd'hui.

Mais il n'est jamais trop tard. Pour se parler, il sera toujours temps.




 
 
 

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