À l'école, des idéaux
- Céline Vincent
- 4 oct. 2020
- 7 min de lecture
Nous avons tous des idéaux. Ils nous servent de moteur ou de chemin à suivre, ils nous permettent l'attachement à l'espoir et ce retour, malgré les fatigues, à nos envies de faire.
J'en ai un grand et magnifique. Il est depuis plus de 20 ans mon horizon délicat devant lequel je m'assois pour reprendre des forces et me relever. Il m'est précieux car ce qu'il touche est la base de toute construction, de l'unicité aux multiples, du soi au nous, de la personne à la société. J'ai un idéal et j'ai envie de vous le raconter. J'ai un idéal et il s'appelle "école".
Dans les précédents articles nous avons parlé de la pédagogie, cette science qui n'existe plus, remplacée par la performance et le conditionnement à l'exécution d'une tâche. Nous avons aussi parlé de la parentalité, ce concept inventé dans le domaine de l'éducation pour mieux vendre des recettes éducatives et faire du parent un métier à apprendre.
Alors pour ceux qui me suivent, il est facile d'imaginer que l'école d'aujourd'hui est loin de l'idéal que j'en ai.
D'ailleurs réfléchissons-nous assez à ce qu'est réellement l'école aujourd'hui ? Avons-nous la conscience pourtant nécessaire et essentielle, de ce qu'est l'enseignement, du pouvoir qu'il représente, du danger qu'il peut être ?
Il y a 2 jours, le président Macron, dans un discours, sous couvert de lutte contre le séparatisme et l'islam radical, revient sur un droit fondamental de la constitution française, du code de l'éducation et de la déclaration des droits de l'Homme, en obligeant dès la rentrée 2021, un retour à l'école républicaine pour tous les enfants même ceux dont les familles ont fait le choix de l'école à la maison ou d'autres alternatives pédagogiques.
Bien sûr qu'il existe des écoles prônant le séparatisme ou l'intégrisme religieux et peu importe la confession. L'Etat en ferme plusieurs par an grâce aux cadres légaux et les contrôles mis en place pour les faire respecter. Elles sont donc déjà clandestines, conscientes de leur illégalité. Mais il y a aussi des écoles hors contrat, légales, qui prônent la construction d'un individu libre, émancipé, critique et citoyen, ce que ne fait pas l'école républicaine nous y reviendrons. Il y a aussi des familles qui choisissent de donner leur propre instruction car elles ne souhaitent pas soumettre leurs enfants à une forme de pression scolaire, il y a quantité de raisons bienveillantes et humaines pour justifier le choix d'une instruction différente de l'école publique française.
Si l'école en France n'a jamais été obligatoire, l'instruction oui. Le choix de cette instruction est garantie aux familles, tant qu'il n'a pas vocation de haine, de racisme et de remises en cause des valeurs républicaines. Pourquoi mettre alors tout le monde dans le même panier ? Pourquoi revenir sur des droits fondamentaux pour des exceptions déjà identifiées qui s'expliquent en partie par un désengagement de l'Etat dans les zones défavorisées ? Comment les établissements français déjà saturés vont-ils pouvoir absorber et intégrer convenablement toutes ces nouvelles inscriptions obligatoires ?
Monsieur Macron ne répondra pas à ces questions car ce qu'il se joue réellement n'est pas une lutte contre un séparatisme quelconque ou un islam radical qui n'existe que par les défaillances étatiques , l'Etat préférant laisser la gestion des misères sociales et culturelles qu'il fabrique aux charognards. Faut-il rappeler au président que les attentats de ces dernières années en France ont tous été perpétrés par des français sortis de notre belle et grande école républicaine ? Tous. Sans exception. En quoi est-elle donc garante de nos prétendues valeurs et nous met-elle à l'abri des fanatiques lobotomisés et manipulés par les mêmes charognards gestionnaires des misères?
Je ne suis pas là pour répondre à ces questions et préfère revenir à mon idéal. Si j'ai choisi de passer par ce chemin c'est pour illustrer un fait évident. La transmission, l'instruction, l'école, l'enseignement, peu importe le nom qu'on lui donne a toujours une idéologie sous-jacente servant de but à atteindre, de chemin à prendre, l'école républicaine ne faisant pas exception. Elle sert de base, de socle commun à l'évolution d'une société. Un système éducatif est une société 20 ans plus tard et est construit pour répondre aux besoins supposés dans 20 ans. C'est en cela que j'affirme que l'enseignement a un véritable pouvoir qui peut s'avérer dangereux. L'Histoire peut nous en dresser une liste particulièrement sordide. Chaque dictateur, chaque tyran accédant au pouvoir a pour première action la transformation de l'école afin de former et soumettre à son idéologie les futures forces vives dont il aura besoin.
Ce n'est pas propre aux dictatures. Je l'ai dit en introduction. Nous avons tous un idéal de vie, une vision pour elle et les moyens qui nous semblent les mieux adaptés pour y arriver. Heureusement, le plus souvent et malgré ce qu'on voudrait nous fait croire, nos idéaux ont les vœux communs de paix, de tolérance, de partage et d'entraide. Il n'en reste pas moins qu'ils sont intrinsèques à ce que nous souhaitons transmettre à nos enfants.
Mr Macron, quand il remet en cause un de nos droits fondamentaux, veut servir son idéal, sa propre idéologie, pour former et soumettre à sa vision républicaine les futures forces vives de la France. Il légitime cette attaque pour nous protéger de l'exception séparatiste alors que la grande majorité des familles n'ayant pas fait le choix de l'école publique française souhaite seulement permettre à leurs enfants de grandir autrement, de réfléchir différemment, dans la conscience des valeurs qui nous rassemblent, celles inscrites sur les fronts de nos monuments, la liberté, l'égalité, la fraternité, celles que l'école ne transmet plus ou pas assez.
Depuis la loi nouvelle sur l'éducation en 1989, l'idéologie sous-jacente à l'enseignement français, jusque dans la conception et la construction de ses programmes, est la formation d'un individu pour le rendre compétitif, performant et flexible. Elle ne le forme pas pour être un citoyen critique, capable d'analyses approfondies susceptibles de remettre en cause son consensus à un modèle sociétal sous idéologie capitaliste, elle le forme pour le servir et s'en servir.
J'ai étudié de nombreuses années comment les programmes scolaires se construisaient, comment leurs évolutions jusque dans la présentation d'un énoncé étaient pensées en fonction des sélections qu'elles pouvaient entrainer. Il n'y a pas de place au hasard. Les sciences de l'éducation sont mises à contribution, mais aussi la sociologie, la psychologie sociale, l'économie, les sciences de la communication servent de références à l'élaboration des programmes scolaires et des manières de les dispenser. Pour façonner une manière de penser, de fonctionner, d'appréhender et de résoudre un problème. Pour que le futur citoyen serve au mieux la nation et que la nation puisse s'en servir.
Mais nous vivons une drôle d'époque. L'année 2020 aura au moins eu pour elle de pointer du doigt nos incohérences, nous obligeant à une réflexion sur nos comportements, nos manières de vivre. Une réflexion qui a souvent mené à une remise en question de l'idéologie libérale, capitaliste et consumériste, générale et mondiale.
A la rentrée scolaire, par peur de l'épidémie ou par volonté d'offrir à leurs enfants une instruction différente pour une vision du monde différente, le choix de l'école à la maison, le choix de dispenser sa propre instruction, a explosé. Et c'est cela qui fait peur à Mr Macron. Il ne faut pas que les futures forces vives dont il est en devoir de former et soumettre à l'idéologie républicaine au service du capital et de la consommation soient parasitées par trop d'électrons libres ayant échappés au cahier des charges de l'éducation nationale française.
Je ne peux maintenant que reprendre les mots d'Albert Jacquard dans son livre "l'équation du nénuphar", tant ils résument mon idéal et accusent celui de l'école actuelle.
"Non, il ne faut pas aller à l’école pour ingurgiter le programme, s’enterrer sous les devoirs et les leçons, entasser les diplômes ! Apprendre, c’est d’abord s’interroger. Formuler ses questions. Chercher les réponses. Critiquer ses propres raisonnements. Suivre son chemin. Apprendre, c’est développer en soi l’irrévérence, l’initiative, la liberté de l’esprit."
Alors oui, il faut laisser le choix de l'irrévérence, de l'initiative, de l'esprit à ceux qui le souhaitent. Car c'est cela qui garantie la paix. C'est quand on est capable de critiquer ses propres raisonnements, de formuler ses questions, de se trouver dans son idéal, que l'on tend vers la paix, la compréhension, la tolérance, le partage, quand le "je" est capable du "nous". Mais le "nous" fait peur à nos dirigeants, et à l'école le "je" est exacerbé pour répondre à ces divisions qui aident à mieux régner.
Et pourtant elle est là mon école idéale. Loin des notes et des performances, des classements et des fausses fiertés, des leçons non apprises car déjà oubliées, des conditionnements à la performance et à la réussite. Elle est dans l'idéologie de la construction d'un individu libre et émancipé, humble et humaniste, heureux et curieux d'apprendre, conscient et soucieux de transmettre.
Dans l'idéal de mon école la langue française serait aimée avant que d'être apprise dans ce qu'elle a de détestable, sa complexité. Elle serait aimée pour la simplicité qu'elle donne à l'expression et aux idées, pour la richesse de ses nuances, pour le sens qu'elle donne a être étudiée.
Aujourd'hui tout va trop vite. Les élèves dès le CP sont sommés à l'ennui, au compliqué, au rigide. Comment apprendre sans susciter l'intérêt, la curiosité. Comment apprendre sans avoir le sens ? Comment apprendre sans se connaître ?
L'oralité à l'école a de moins en moins de place. Comment écrire une langue sans la parler ?
L'école ne devrait plus répondre aux besoins d'une société. La société devrait répondre aux besoins de l'école. Et aujourd'hui plus que jamais elle a besoin d'être questionnée.
Plus de 20 ans que je "ramasse" ceux qu'elle broie, exclue, juge, condamne. Je suis en colère contre elle car cela fait trop longtemps qu'elle est indigne de sa mission si jamais un jour elle l'a été. Nous ne pouvons plus ignorer le fait qu'elle est un parfait modèle de reproduction sociale, trop d'études l'ont prouvé. Et c'est normal. Car elle ne nous permet pas d'accéder au sens, aux remises en cause de ce que nous sommes, de comment nous fonctionnons. Elle ne nous permet pas l'interrogation si elle n'est pas jugée.
Et si nous sommes en droit de lui demander des comptes, nous sommes en devoir de la protéger. La protéger en lui rendant la noblesse de sa véritable mission. Permettre à l'individu de se trouver afin qu'il construise son idéal en lui donnant assez de courage et de confiance pour atteindre l'humilité que réclame l'acceptation et l'intégration des différences.
Il faut prendre conscience de l'idéal qu'entraine l'école d'aujourd'hui pour nos enfants, il faut que les parents s'interrogent sur ce qu'ils vivent et apprennent réellement et voir si finalement, toutes ces notes exigées, ces devoirs faits, cette pression exercée correspondent aux idéaux qu'ils veulent transmettre à leurs enfants. Je m'interroge tant dans ma pratique j'ai rencontré bien plus de parents soucieux de l'épanouissement de leur enfant et des atteintes que lui porte l'école, que de parents désireux d'avoir pour enfant un élève bien dressé.
Quand nous aurons fait ce chemin, que nous permettrons à l'école d'être autre chose qu'une machine de reproduction sociale et de conditionnement à la réussite sélective, quand elle ne dispensera plus une idéologie et qu'elle permettra à chacun de construire la sienne, quand elle retrouvera la noblesse de l'émancipation, du questionnement et de la liberté d'esprit, alors peut-être qu'un président n'aura plus l'affront de nous l'imposer car nous serions sereins et heureux que nos enfants puissent la fréquenter.
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