L'écriture cursive : une mauvaise habitude ?
- Céline Vincent
- 26 sept. 2020
- 6 min de lecture
Le passage à l'écriture cursive en CP est fastidieux et met trop souvent en difficulté les élèves. Nous l'avons vu, la pédagogie, si elle n'est pas logique et empathique, n'est plus de la pédagogie. Sans ses deux outils, elle cède la place à une forme de conditionnement à l'exécution performante d'une tâche, ce à quoi nos enfants de 6 ans sont aujourd'hui soumis quand on leur demande d'écrire en cursif. Nous allons voir que cet apprentissage, dans l'éducation nationale française, est fait en dépit de tout bon sens, de toute logique, sans jamais prendre en compte l'évolution des connaissances dans les sciences de l'éducation, sans jamais se remettre en cause, sans jamais se questionner, l'habitude faisant loi, encore.
Mais d'où nous vient ce modèle d'écriture ?
Le paléographe Marc Smith vient de sortir un livre passionnant sur le sujet : "les modèles d'apprentissage de l'écriture en France depuis la Renaissance" (ed. La Découverte - Coll. Archéologie de la transmission des savoirs).
On y apprend qu'au début du 17ème siècle, deux modèles d'écriture sont utilisées : les lettres françaises soumises à la tradition gothique et les lettres italiques. Ces deux modèles sont difficiles à lire car les "maîtres d'écriture" sont avant tout des artistes et jouent avec l'ornement des lettres jusqu'à les rendre pratiquement illisibles. Au 18ème siècle, "la coulée" est l'écriture la plus utilisée avant d'être remplacée par l'écriture anglaise au tout début du 19ème siècle. Ce modèle est développé au cours du 18ème siècle par les maitres d'écriture anglais pour faciliter les échanges commerciaux. Elle devait être rapide, claire, simple, régulière. Elle est encore employée aujourd'hui et enseignée dans les écoles ce que déplore Marc Smith qui pointe aussi du doigt le "conservatisme de l'enseignement de l'écriture" qui ne prend en compte ni les nouveaux outils d'écriture manuscrite, ni l'ordinateur.
La génèse de notre modèle d'écriture construit le manque de logique de son enseignement aujourd'hui. Sa complexité (il n'a pas évolué depuis le 19ème siècle!!), la rigueur aberrante des interlignes, la transformation de minuscule en majuscule trop âgée, nostalgique des maitres d'écriture. Pourquoi ? Dans quel but ? Cela n'a pas de sens, ce n'est pas logique.
Autres questions.
- Pourquoi obliger des élèves à "forcer" leur style d'écriture en leur faisant faire des lignes interminables de a, de b, des autres et de mots en CP et CE1 pour ensuite accepter qu'ils adoptent leur propre style du moment qu'il soit régulier et propre, qu'il soit lisible ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué me direz-vous. Puis nous avons appris de cette façon et que l'habitude faisant loi, nos enfants doivent y avoir droit. C'est comme cela qu'ils pensent les "penseurs" de l'éducation nationale française, par habitude du non sens, de la bêtise, en confondant le compliqué avec l'intelligent. Outre atlantique, ce modèle est remis en cause depuis quelques années. En France, le débat n'est même pas ouvert.
- Retrouve-t-on l'écriture cursive ailleurs que dans les cahiers de nos enfants ? Non. Jamais. Allez-y. Réfléchissez. Vous voyez. On ne l'utilise nulle part ailleurs, mais nos enfants, qui entrent à peine dans la lecture et l'écriture doivent l'apprendre et l'utiliser. Logique ? je ne pense pas.
- Pourquoi les recherches scientifiques sont-elles ignorées dans la mise en place des programmes scolaires ?
Petit résumé des recherches significatives en sciences de l'éducation sur l'apprentissage de l'écriture.
Le langage oral est le socle du développement du langage écrit. Le développement du langage débute dès qu’un adulte communique avec un enfant en lui parlant (Daviault, 2011). Selon Daviault (2011) et Sousa (2009), il existe une corrélation positive entre le langage oral et la qualité de la lecture, de l’écriture et la compréhension de texte. Chez l’enfant, cela se manifeste notamment par l’étendue de son , appelée aussi lexique mental (Daviault, 2011; Giasson, 2011; Martinet et Riebens, 2015). Le nombre de mots connu est un prédicteur du succès de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : plus l’enfant connait de mots, plus il sera en mesure de les reconnaitre (Charron, Bouchard et Bégin, 2011; Giasson, 2011)
Vers l’âge de 4 à 5 ans, l’enfant commence à tracer des lettres et à écrire son nom (Daviault, 2011). En plus de lui apprendre à tenir et à manipuler le crayon, cette tâche lui permet de mémoriser la forme des lettres (Giasson, 2011). C’est à partir de la 1re année que commence l’apprentissage formel de l’écriture. L’enfant apprend à écrire les lettres en respectant leur proportion, souvent en utilisant des « trottoirs » et l’espacement entre elles, puis éventuellement entre les mots (MELS, 2006). L’objectif est que l’enfant développe une écriture efficace et lisible (Giasson, 2011; Rigal, Bouchard et Fréchette, 2011).
Jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans, le tracé des lettres manque d’assurance et l’enfant fait des arrêts fréquents lorsqu’il écrit (Rigal et al., 2009). Pour maitriser ses gestes, il doit faire des efforts et y consacrer la quasi-totalité de ses processus attentionnels, qui sont alors, , limités (Labrecque, Morin et Montésinos-Gelet, 2013; Morin, Lavoie et Montésinos-Gelet, 2011). Selon Lavoie, Morin et Labrecque (2015), l’automatisation du geste graphique est partiellement maitrisée vers l’âge de 10 ans, pour l’être totalement à l’adolescence. Tout comme pour la lecture, plus l’enfant écrira, plus il gagnera de l’assurance et dépensera moins de ressources cognitives pour la calligraphie, ce qui lui permettra éventuellement de se consacrer à l’apprentissage de l’orthographe (Rigal et al., 2009).
Je vous mets en lien une étude canadienne très intéressante. L’apprentissage de deux styles d’écriture nuit au développement de l’enfant, dit-elle. Tout ce qu’ils ont acquis dans le premier style d’écriture, ils doivent le retravailler. Si les petits mettent toute leur énergie à transcrire, il en reste moins pour organiser leurs idées.
Elle précise cependant qu’il est important que les enfants apprennent à reconnaître les lettres attachées, même s’ils ne sont pas capables de les tracer. «C’est comme en art. Il est important d’être exposés à toutes les formes d’art, mais ça ne veut pas dire que l’on peut les reproduire», dit-elle. (L'étude en pdf)
De nombreuses recherches vont dans ce sens :
- la mise en place d'un langage oral riche avant d'entrer dans la lecture et l'écriture
- respecter le rythme et la structure biologiques de l'enfant
- prendre en compte la mobilisation de la quasi-totalité des processus attentionnels que demande l'apprentissage de l'écriture. (Actuellement, cet apprentissage se fait en parallèle de la lecture, de la compréhension et de l'orthographe. Nos enfants sont soumis à une pression cognitive sans précédent, qui n'a aucun sens et qui engendrent des difficultés qui pourraient facilement être évitées.)
- enseigner un seul style d'écriture.
- objectif : développer une écriture lisible et efficace (pas des p qui descendent de 2 interlignes ou des l qui montent de 3. Efficacité. Lisibilité. Ce que nous avons tous fait quand l'école nous en a laissé le droit.)
- apprendre à lire les lettres cursives et attachées mais pas forcément à les écrire.
Alors pourquoi ces recherches ne sont pas prises en compte ? C'est simple. En France, dans l'enseignement, l'habitude fait loi et le difficile exercice de la remise en cause jamais réalisé.
Mais l'écriture cursive est encore au programme alors que faire ?
A mon arrivée au Maroc j'ai enseigné 5 ans en CP. Je n'ai jamais mis en place l'écriture cursive au 1er trimestre. L'objectif était que mes élèves soient à l'aise, que leur attention ne soit pas accaparée par le graphisme, ils écrivaient en bâton, comme ils l'avaient appris jusque là, je privilégiais le lange oral, la lecture et la compréhension. Je leur enseignais en parallèle la lecture (et seulement la lecture) des lettres cursives pour qu'ils appréhendent mieux le découpage des mots dans une phrase.
Une fois par semaine, nous écrivions la lettre ou le son étudiés sans la codification des interlignes, seulement dans un espace délimité par 2 lignes, le sol et le ciel et nous avions un jeu sur la transformation des lettres
Tous mes élèves, durant ces 5 années, savaient écrire en cursif en fin de CP et aimaient utiliser cette écriture car ils y ont accédé en temps voulu et par le sens. L'écriture attachée aide à détacher les mots. Il ne sert à rien de la commencer en début de CP, les élèves ne sont pas prêts. L'apprentissage de la lecture entraîne une modification des structures du cerveau, c'est intense et mobilise de nombreux processus attentionnels. Il faut qu'ils passent de la lettre, à la syllabe, aux mots, à la phrase, au sens. C'est un schéma lourd et fastidieux. Il faut le mettre en cohérence avec l'écriture, aux sons, en simplifiant au maximum le geste graphique pour ne pas entraîner une surcharge cognitive. Une fois de plus il faut être logique et empathique.
Je sais que nombre de parents souffrent de ces temps d'écriture qu'ils doivent faire avec leurs enfants. Mais revenez toujours au sens de ce que fait votre enfant, de ce qu'il apprend, pourquoi et comment. Quelle importance qu'il ne sache pas former les jolies boucles d'une majuscule si elle est majuscule et lisible ? Quelle importance que le p ne descende pas assez bas s'il se lit ? Qu'a retenu votre style d'écriture de ses années d'école ? Gardez juste l'objectif de permettre à votre enfant de s'approprier son style, qui traduit quelque part ce qu'il est. Permettez lui d'être efficace et lisible. Permettez lui, vu que l'école ne lui permet pas, de sortir du conservatisme du 19ème siècle pour rentrer plus facilement et sereinement dans son avenir.

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