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Pédagogie en solde

Cet article n'est pas un avis professionnel ou personnel. Il est une certitude. La seule que j'ai jamais eue. Parce qu'elle s'est imposée à moi au fil de mon parcours comme une évidence commune à toutes ces particularités que j'ai eu la chance de rencontrer et qui m'ont permis de comprendre que la normalité était un concept marchand pour vendre mieux et plus cher. Grâce à cette évidente certitude, j'ai mon métier à même les tripes et si je n'ai pas la prétention de croire le faire mieux qu'un autre, j'affirme par contre l'avoir compris et je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas. J'ai exercé dans des instituts médicaux éducatifs, dans des prisons, des foyers de l'enfance, des classes "de la deuxième chance", avec des enfants en situation d'handicaps de toutes sortes ou des enfants sans problème particulier, j'ai été en situation d'élève en accompagnant à plein temps en classe un enfant sur toute une année scolaire, j'ai été enseignante de primaire, j'ai eu cette chance de la diversité, de la confrontation, de la pluralité dans ma pratique. J'en avais aussi besoin pour comprendre réellement ce qu'était la pédagogie, quel sens je lui donnais. Un mot que l'on connait tous sans réellement savoir ce qu'il implique. Un mot que l'on aime qualifier de positif, bienveillant, différencié pour en faire des recettes faciles qui n'ont de réussites effectives que dans les chiffres de vente et les prix des consultations de prétentieux spécialistes. Mais la pédagogie se suffit à elle-même et si on en mesure tout ce qu'elle est, tout ce qu'elle implique et réclame, lui rajouter un qualificatif à la mode est au mieux un pléonasme, au pire, un non sens. La pédagogie est déjà définie par la positivité, la bienveillance, la différenciation ou plutôt la considération des particularités de l'individu et pour se mettre en oeuvre elle n'a seulement besoin que de deux instruments : l'empathie et la logique. De cette dernière, aujourd'hui, nous en manquons cruellement. Nous y reviendrons. Continuons pour l'instant de la définir.

"La pédagogie (du grec παιδαγωγία, direction ou éducation des enfants) désigne l'art de transmettre une compétence. Le terme rassemble les méthodes et pratiques d'enseignement requises pour transmettre un savoir (connaissances), un savoir-faire (capacités) ou un savoir-être (attitudes)." Wikipédia

J'aime cette définition car elle porte en elle l'aveu que nous sommes tous, à un moment donné ou un autre, des pédagogues, ce que nous sommes, effectivement, instinctivement, naturellement.

L'humanité s'est construite par la transmission des savoirs et c'est sur elle qu'a reposé, que repose et reposera, son évolution. Construire des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être et les transmettre. Voilà ce qu'est la pédagogie. Voilà pourquoi la qualifier de positive ou autre n'a qu'une visée commerciale qui en plus renie ce qu'est la pédagogie dans son essence. Voilà aussi pourquoi le terme de coaching scolaire m'est insupportable en ce qu'il a d'absurde. L'école n'est pas un lieu de performance n'en vous déplaise. Elle est un lieu de construction et de transmission. L'enfant n'est pas en devoir de s’améliorer, il est en droit de se trouver et de se construire en tant qu'individu instruit et éduqué. Il n'a pas besoin d'être coaché mais d'être guidé, accompagné. Le coaching induit la performance, l'accompagnement induit le temps qu'il faut pour se trouver.

Et pourtant je ne vois que cella en ce moment, des annonces de coachs scolaires qui se revendiquent certifiés ICF, cet institut international qui vend à prix d'or de prétendues formations de coach dans tous les domaines. Vous pouvez aller vérifier, dans la formation de coach scolaire il n'est jamais question de pédagogie, de transmission. Quelques heures sur la psychologie de l'enfant ne peuvent la remplacer. Je ne suis pas entrain de dire que faire appel à un coach scolaire est inutile ou dangereux, les exceptions sont toujours là pour confirmer la règle, je valide juste mon propos par l'exemple, par le fait. L'enseignement a subi un glissement. Il tient aujourd'hui plus de la performance que de la transmission qui devrait être pourtant, pour toujours et à jamais, son sens premier. Mais cela prend du temps de transmettre, il faut s'arrêter aux particularités de chacun, les prendre en compte. La performance est plus rapide, car elle fait de l'humain un être mécanique, général, calibré à la norme retenue et en rapport avec celle où elle le situe.

Dans notre évolution trop pressée,nous avons perdu ce sens, avides de recettes d'éducation faciles et pratiques que nous sommes, une avidité obligatoire pour tenter d'échapper aux jugements sociétaux qui dépossèdent le parent de sa véritable nature pour en faire un métier dans lequel il doit être performant en faisant de son enfant un premier de la classe.

Parce que nos sociétés actuelles sont construites sur l'obligation de performance, obligation enseignée dès l'école, au plus grand désarroi du corps enseignant. Parce que nous nous l'imposons au quotidien, pour être toujours plus forts, plus intelligents, plus beaux, toujours plus, le "assez" toujours jugé insuffisant.

Cette course à la performance ne nous permet plus le temps de l'empathie et se fait souvent en dépit de toute logique. La pédagogie ainsi dépossédée de ses 2 instruments, ne peut plus s'exprimer, perd de sa consistance et lui rajouter un qualificatif, quel qu’il soit, ne suffira pas à lui en donner. Si la pédagogie n'a plus de place à l'expression, la transmission est coupée.

Nous sommes entrain de vivre un exemple concret de ce que j'avance, particulièrement au Maroc, compte tenu de la situation actuelle entre l'AEFE et les parents mais le manque de logique dont je vais parler peut être grossièrement repris partout ailleurs.

L'enseignement est aujourd'hui une offre éducative "vendue" avec des arguments de performance, les taux de réussite au bac et le pourcentage de mention fièrement affichés sur les façades des écoles en sont la preuve. Les parents privilégient les écoles qui ont le meilleur taux, qui sont les mieux classées en terme de performance, de réussite.

Aucun établissement ne communique sa ligne pédagogique, sa visée, ses méthodes pour l'appliquer, son contenu. C'est normal, aucun n'en a, les exceptions, nous l'avons dit, justifiant les règles. Aucun parent non plus ne la demande. Ni à l'école, ni aux professeurs particuliers auxquels ils font appel, ni à personne. Ce qui importe c'est le résultat, pas la manière. Ce qui importe c'est la performance, pas la transmission. Il est plus simple et plus rapide de conditionner un "apprenant" à l'ingurgitation d'un savoir éphémère dont la note sonnera sa fin et son oubli que de préparer un individu à la réflexion, à la connaissance de soi et du monde à travers des savoirs ancrés et acquis. C'est la raison principale pour laquelle la majorité des enseignants ont mal à leur métier, ils savent et veulent transmettre mais on leur demande de conditionner, de calibrer, de mécaniser l'apprenant pour la performance d'un instant.

L'enseignement à distance, ce fameux distanciel, aura au moins eu l'avantage de mettre en lumière cet état de fait. Il n'est pas encore compris, mais ça viendra, c'est entrain de se mettre en place, de faire sa place. On accuse les professeurs de ne pas faire leur travail alors qu'ils n'en ont tout simplement pas les moyens. A distance l'on peut transmettre, pas "performer". On accuse les écoles de ne pas avoir su anticiper. Accusation dans ce cas légitime. Mais jamais je n'ai vu les vrais coupables identifiés. Jamais. A quel moment, quelqu'un, a interpellé les différentes directions pédagogiques ? Pourtant les directeurs pédagogiques sont les vrais responsables de ce carnage. Mais nous l'avons vu, la pédagogie n'existe plus. On peut entendre et lire le mot partout en ce moment, il est vide de sens, vide de réflexion, vide de ses instruments, l'empathie et la logique.

Il est pourtant du rôle du responsable pédagogique d'avoir une visée claire, logique, il est de son devoir de prendre en compte et d'anticiper les différentes situations avec empathie et lucidité et d'élaborer des scenarii pédagogiques possibles afin que les professeurs puissent en être le relais pour que la transmission ne soit coupée. L'enseignement français sait faire l'enseignement à distance pourtant. Et même très bien. Tout le monde parle du CNED en ce moment. Mais qu'est-ce que c'est exactement ? Ce centre national d'enseignement à distance est un établissement public du ministère de l'éducation nationale française. Il a vu le jour en 1939 pour continuer de transmettre un savoir aux enfants malgré la guerre. Il dispense des formations à distance de la maternelle à l'université. Ses cours sont pensés et construits pour l'enseignement à distance. Tout est là. A disposition. L'école française sait faire de l'enseignement à distance depuis 81 ans et avec succès. L'éducation nationale française n'a pas mis cette ressource à disposition des établissements, aucun responsable pédagogique n'en a fait la demande. Nous avons déjà toute la base de construite, il ne reste plus qu'à l'adapter dans son ensemble au format numérique, adaptation facile, les données étant déjà numérisées. Mais nous ne l'utilisons pas et laissons l'option CNED au bon vouloir de chacun. Vous trouvez cela logique ? Etions-nous plus efficaces en 1940 qu'aujourd'hui malgré toute notre technologie ? Non.

C'est juste que l'enseignement a fini par préférer la performance à la transmission. C'est juste que cette crise sanitaire que nous traversons est un miroir grossissant de nos défaillances et que l'école n'y échappe pas. Que nous devons revenir à l'essentiel, à la logique et l'empathie, à la transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir être, à la pédagogie, au temps qu'elle prend, à l'humilité qu'elle impose, au contenu qu'elle soutient et non à l'apparence qu'elle prend.

Depuis la nuit des temps nous savons transmettre des savoirs, il a fallut le temps d'une nuit pour l'oublier. Parce que nous avons remplacé les instruments empathiques et logiques de la pédagogie par de brillantes vitrines de magasins sans stock à l'intérieur, parce que nous voulons des résultats avant de s'en donner les moyens, parce que nous ne pouvons plus occulter le fait que l'enseignement s'est réduit à une offre éducative, et quand on la monnaye ainsi en qualité, la pédagogie cède la place aux financiers.






 
 
 

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